Extrait de « De Re Aedificatoria », 1452
En tout l’art de bâtir il n’y a chose où soit requis plus d’esprit, de soin, d’industrie, et
diligence, qu’à bien conduire et décorer un temple, considéré que ce lieu-là bien ordonné, puis
embelli ainsi qu’il est requis, apporte le premier et principal ornement à la ville et dise qui
voudra le contraire, car quant à moi je maintiens qu’un temple est la maison des dieux.
À cette cause si nous faisons aux rois et autres grands personnages de beaux palais pour leur
demeure, et les décorons de toutes singularités exquises, que ferons-nous aux immortels qui
assistant à nos sacrifices, et que nous désirons recevoir agréablement nos prières. Or soit
qu’ils ne fassent estime des choses fragiles et périssables construites par la main des hommes,
et qui coûtent beaucoup, encore faut-il que ces contredisants confessent qu’il n’est rien plus
beau que pureté, ni qui plus émeuve à la vénération des dieux.
Sans point de doute un temple qui délecte la vue des regardants, et qui ravit leur courage, pour
la merveille de la manufacture, ayant bien bonne grâce, incite fort à la dévotion. À cette cause
les antiques disaient que les dieux étaient honorés lorsqu’on fréquentait en leurs temples. Et
de ma part je voudrais qu’il y eût tant de beauté en la maçonnerie qu’on n’y en sût désirer
davantage. Même je serais content qu’il fût si bien paré de tout côté que ceux qui entreraient
dedans vinssent à frémir d’étonnement par voir des choses tant dignes et bien faites, si qu’à
grand peine se pussent-ils tenir non seulement de dire, mais de crier tout haut, que le lieu
qu’ils contemplent est digne de l’habitation des dieux.
Strabon témoigne que les Milésiens firent jadis un temple, lequel pour son excessive grandeur
demeura sans être couvert. Moi je n’approuve point cela.
Les Samiens aussi se glorifiaient d’avoir le plus grand temple en leur ville, que l’on eût su
trouver ailleurs. Et je n’improuve point que l’on les fasse tels, qu’à grand peine se
puissent-ils augmenter, considéré que la décoration est une chose infinie, et toujours
trouve-t-on aux temples, pour petits qu’ils soient, que l’on peut et doit y ajouter quelque
chose. Les plus parfaits à mon avis sont ceux qu’on ne saurait désirer plus grands à
l’équivalent du pourpris de la ville ; mais si leurs couvertures sont excessives, pour certain
me déplaisent. Et ce que je désire le plus en leur structure, est que toutes choses qui se
présentent à la vue y soient de si bonne grâce qu’on puisse malaisément juger qui mérite plus de
louange, ou l’industrie et les mains des ouvriers, ou la curiosité des citoyens à chercher et
fournir les choses rares et singulières, ou faire en sorte qu’on ne sache si elles tendent plus
à décoration qu’à fermeté long temps durable.
Certainement en toutes œuvres tant publiques que particulières, et spécialement aux temples, il
faut bien prendre garde que ces points y soient observés au doigt et à l’œil (comme on dit) et
est bien requis que la matière soit bonne, valable et bien conduite, afin que par sinistres
accidents tant de dépense ne périsse en un rien, car l’antiquité n’apporte moins de majesté aux
temples que l’ornement de dignité.
Les antiques suivant la discipline des Étrusques étaient d’opinion que l’on ne devait en toutes
places bâtir indifféremment des temples à tous dieux, ainsi disaient que ceux qui président à la
paix, à la chasteté, et aux bons arts, se devaient loger dans le corps de la ville, mais les
autres qui nous induisent à voluptés, débats, et boutements de feu, comme Vénus, Mars et
Vulcain, veulent être hors des murailles. Quant à Vesta, Jupiter, et Minerve (que Platon disait
être protecteurs de la cité) ils les mettaient toujours dans le cœur de la ville en la
principale forteresse. Pallas était au milieu des ouvriers, Mercure et Isis au marché parmi les
marchands, qui leur sacrifiaient solennellement au mois de mai. Neptune au rivage de la mer, et
Janus sur les hautes montagnes. À Esculape les Romains lui firent un temple en l’île du Tibre, à
raison qu’ils estimaient les malades (principalement de fièvres chaudes) avoir plus besoin d’eau
que d’autre chose. Toutefois Plutarque dit qu’aux autres villes la coutume était d’édifier les
maisons sacrées à ce dieu hors la ceinture des murailles, pour
autant que l’air y est plus sain ; et disaient iceux antiques qu’à ces dieux en particulier
convenait faire diversité de temples. Car le Soleil et Bacchus voulaient la forme ronde ;
Jupiter (selon Varron) le sien tout découvert, en considération de ce qu’il ouvre les semences
de toute chose. Vesta (qu’ils prenaient pour la terre) désirait aussi la maison ronde en forme
ovale ; et tous les autres dieux célestes leurs temples relevés plus haut que la superficie de
la terre : les infernaux en des cavernes, et les terrestres sur le plan. Au moyen de quoi je
présuppose que de là vint l’invention des divers sacrifices, et qu’aucuns arrosaient les autels
de sang, les autres offraient du vin et gâteau, et ainsi du reste, car un chacun se délecta de
faire tous les jours choses nouvelles. Mais il fut une loi à Rome faite par le roi Numa
Pompilius, publiée après son décès, par laquelle défendait qu’on ne jetât du vin au feu où l’on
brûlait les corps des trépassés, et cela était cause que les antiques ne sacrifiaient du vin,
mais de lait.
En l’ile Hyperborée dans l’océan ou la grand mer, où l’on dit que Latone fut née, la maîtresse
ville était consacrée au dieu Apollon, à raison de quoi tous les citoyens savaient sonner de la
harpe, d’autant qu’il fallait tous les jours faire musique devant sa remembrance.
Je trouve en Théophraste le sophiste que les habitants de l’Isthme voulaient sacrifier un formy
à Neptune et au Soleil, et qu’il n’était loisible entre les Égyptiens de présenter aux dieux,
dedans les villes, autre chose que des prières ; et pour ce qu’il fallait immoler des brebis ou
moutons à Saturne et à Sérapis, leurs temples étaient en la campagne.
Les gens de notre Europe ont partout usurpé les basiliques pour l’usage des sacrifices, à cause
même que dès leur première institution la coutume fut de s’y assembler, et que devant le
tribunal de chacune il y avait un autel de grande révérence, à l’entour duquel pouvaient être
les grands attentifs aux cérémonies, et le menu peuple sous le portique dans les galeries à se
promener, ou faire ses dévotions, comme bon lui semblait, joint aussi que la voix du pontife ou
évêque prêchant était mieux entendue dessous un lambris résonnant que sous une voûte de temple.
Mais de ceci j’en parlerai en autre endroit.
Or n’est pas impertinent en cet endroit ce qu’aucuns architectes disent, qu’il faut pour Vénus,
pour Diane, pour les Muses, pour les Nymphes, et pour les plus douces déesses, faire des temples
imitant leur forme féminine, et sentant aucunement la délicatesse de jeune âge ; mais à Hercule,
à Mars et aux grands dieux robustes, leurs maisons doivent être bâties de sorte qu’on y ait plus
de révérence par la gravité de l’ouvrage qu’elles n’auront de grâce par l’acquisition de
vieillesse.
Or en quelque lieu qu’un temple s’édifie, la raison veut qu’il soit célèbre, illustre, et
superbe (comme on dit) voire hors la contagion des personnes profanes. Pour laquelle chose
faite, lui convient donner devant son front une belle grand-place digne de soi en manière de
parquet, close d’une courtine de basse muraille, et pavée de la plus belle pierre que trouver se
pourra ; et quand cela régnerait tout alentour, ce ne serait que le devoir, car il faut que de
toute part y ait apparence de dignité.
N.-B. : pour des raisons de facilité de compréhension, le texte a été retranscrit et
ponctuellement adapté à l'orthographe et à la syntaxe modernes.
N.-B. : pour des raisons de facilité de compréhension, le texte a été retranscrit et ponctuellement adapté à l'orthographe et à la syntaxe modernes.
Livre 7 –
Chapitre 3,
p. 4-7.